Vous est-il déjà arrivé de faire sauter la capsule de l’objet de vos contemplations et d’assister à l’éjection précoce de sa substance interne? Le rituel préliminaire de mes liaisons mensuelles avec vous, chers lecteurs, comporte l’ouverture d’une bouteille de bière. Elle se développe au rythme du liquide qui caresse voluptueusement les sens de ma jouissance gustative. La finale consiste en une satisfaction solitaire, au moment où j‘autorise mon logiciel Eudora, d’envoyer le témoignage de mon aventure au pupitre de la rédactrice en chef (devenue, depuis ce numéro, le rédacteur en chef. En passant, bienvenue Éric-Olivier).
Vous devinez qu’entre la première et la dernière gorgée, j’ai eu le temps d’inviter à la gambrinale (une bacchanale pour bières, ne cherchez pas le mot «gambrinale» dans le dictionnaire, il n’y est pas encore), quelques bouteilles... Ce soir, j’offre à mes bourgeons gustatifs, une Don de Dieu. Remarquez incidemment la tournure du substantif: il ne faut pas confondre «une Don de Dieu» et «un don de Dieu». Deux secondes après que le nuage de la décompression se soit formé dans le goulot, un torrent de mousse déborde suavement sur la paroi extérieure de la bouteille! Pourquoi diable cette bière a témoigné de sa jouissance avant la mienne?
Ce produit est refermenté en bouteille. Cette méthode fut mise au point par un moine de Reims (prononcez «rince») en France: Dom Pérignon. La procédure est connue sous le nom de «méthode champenoise». Elle consiste à provoquer une fermentation à l’intérieur de la bouteille dans le but de saturer le liquide de gaz carbonique. Le récipient étant hermétiquement fermé, le gaz ne peut pas s’échapper: il se dilue dans la boisson. Il faut doser la quantité de sucre ajoutée à la bière avant l’embouteillage afin que la saturation soit parfaite. Sur les papilles, cette (et non pas ce) Don de Dieu offre ses saveurs classiques, c’est-à-dire presque rien; un voile de blé arrondi d’une onctuosité d’alcool dont le pétillement mordille agréablement les papilles. De toute évidence, la source du «gushing» réside dans le dosage de sucre. En d’autres occasions, le problème pourrait être dû à une température d’entreposage trop élevée, ce qui favorise l’action de la levure. Pour vérifier, j’ai ouvert une Fin du Monde, originant de la même brasserie, que je me suis procurée le même jour, au même endroit. Aucune éjaculation hâtive ne s’est produite! Conclusion; vraisemblablement un problème de dosage de sucre.
D’autres variables peuvent expliquer le gushing.
L’une d’elles est l’infection bactérienne. La présence de bactéries dans la bière n’est pas pathogène pour l’humain. L’art du brassage de la famille des lambics repose justement sur la dextérité des brasseurs de gérer la complexité ces fermentations. Mais ici au Québec (incluant tous les pays voisins des Amériques), il s’agit d’un défaut. Comment l’identifier? Par les flaveurs de cidre (sauf s’il s’agit de bières aux pommes) ou encore évoquant le sirop contre la toux. Au début du mois d’août, en visite à Québec, je me suis offert une Blanche de Québec, la seule bière de microbrasserie offerte dans le pub où mes fesses réchauffaient un banc. Elle manifestait tous les symptômes d’une infection bactérienne! Après trois gorgées, j’ai demandé une Black Label.
Depuis le début de la révolution brassicole, trois microbrasseries ont ouvert leurs robinets dans la région de la Vieille Capitale: Portneuvoise, Beaucebroue et les Brasseurs de la Vieille Capitale. Les trois ont brassé des bières qui manifestaient ces symptômes et ont par la suite déclaré faillite! Coincidence? La quatrième brasserie du coin nous offre des bières dont les saveurs sont souvent infectées à la bactérie (Ferme-brasserie Schoune). Une conclusion s’impose: la ville de Québec est probablement le prochain berceau des brasseurs de lambics sur cette planète. Mais qui osera s’aventurer sur ce chemin, sachant qu’un lambic demande au minimum 3 ans de vieillissement en cave?
Une autre variable explique le gushing. Agiter la bouteille avant de l’ouvrir... C’est souvent pour arroser un joyeux événement. Le goût du liquide est alors bien secondaire. La distance qu’il peut franchir une fois la capsule sautée détermine le choix. Je vous conseille alors un vin mousseux!
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