Mario D'Eercommuniquez avec moi

Enseignant, auteur, biérologue

L’état de la bière en 2001 au Québec


Je viens tout juste de compléter les dernières corrections à la deuxième édition du livre «404 bières à déguster au Québec», ouvrage que j’ai eu le plaisir de concocter avec mon complice de toujours, Alain Geoffroy. Il s’agit de mon dixième titre, soulignant également le dixième anniversaire de mon implication professionnelle dans le monde de la dégustation des bières. Je profite de ce moment pour vous offrir quelques réflexions sur l’état de la bière de dégustation au Québec.


Que signifie «bière de dégustation»? Pour moi, toute bière offrant des saveurs plus poussées que les désinvoltes classiques des géants industriels mérite de recevoir le qualificatif. Le marché des bières industrielles évolue sur l’axe de la recherche de l’insipidité. Les améliorations apportées en vertu de cette conception du goût est «moins elles goûtent, meilleures elles sont.» Pour moi, toute bière qui offre du goût est une bière de dégustation, car on peut justement la déguster. Je n’établis toutefois pas une hiérarchie de qualité en fonction de l’intensité de saveurs. Une bière qui goûte plus fort n’est pas nécessairement meilleure! Il existe néanmoins une gradation et spécialisation de saveurs qui rendent certaines bières si exceptionnelles qu’il ne s’agit plus strictement de bières de soif mais de bières de table. Mentionnons à cet égard la Chimay Grande Réserve. Entre ces deux pôles, il existe une quantité incroyable de styles ambidextres qui honorent la soif et qui peuvent également accompagner les plats les plus raffinés. Je pense à la Saint-Ambroise Pale Ale, par exemple.

Par son accessibilité, la bière est également à la portée de toutes les bourses. Dénuée de snobisme de haute voltige, elle offre moins d’intérêt sur le registre du «m’as-tu-vu». Qui plus est!, la majorité des clubs d’amateurs est composé de joyeux troubadours qui aiment bien picoler.

Les débuts passablement spectaculaires du marché de la bière nous ont offert une explosion de saveurs qui éclataient dans toutes les directions: sucrées, acides, amères, liquoreuses et fantaisistes. Ni le consommateur, ni le vendeur, ne se posaient trop de question sur les saveurs: nous étions dans une phase d’exploration et de découverte. Le marché était en pleine effervescence. Les ventes augmentaient considérablement sur de courtes périodes. Plusieurs entrepreneurs se sont alors lancés dans ce marché. Certains, plus prudents, nous offraient des images dénuées de saveurs (ex.; Corona du Mexique), d’autre plus audacieux, nous ont offerts des saveurs pointues (ex.; Jacobite d’Écosse). Dans la mise en marché de toutes ces bières, je note une constance: les vendeurs étaient avares de détails sur ce qu’elles goûtaient. Sauf exceptions, ils se contentaient d’un vocabulaire composé de superlatifs du genre «elle est extraordinaire» ou «elle se distingue de toutes les autres...».


Il importe de souligner que la bière, à cause de son prix, n’offre pas des marges de profits mirobolants. Les marges sont inextricablement liées au volume des ventes. La multiplication des brasseries et des marchands (pour l’importation) ne laisse que quelques gouttes de profit à chacun. Il s’agit donc d’un marché vulnérable. Plusieurs entreprises ont vite plié bagage, nuisant ainsi à l’établissement d’un système de distribution fiable, et par conséquent, à l’accessibilité de plusieurs grandes bières.


Par son accessibilité, la bière est également à la portée de toutes les bourses. Dénuée de snobisme de haute voltige, elle offre moins d’intérêt sur le registre du «m’as-tu-vu». Qui plus est!, la majorité des clubs d’amateurs est composé de joyeux troubadours qui aiment bien picoler. Tous ces éléments réunis contribuent au développement de préjugés négatifs à l’égard des «dégustateurs de bière». Cette impression négative empêche plusieurs consommateurs potentiels d’inviter ces boissons aux repas et ralentit considérablement le développement du marché de la bière de table.




De leurs côtés, les brasseries n’ont pas toutes développé un code d’éthique à l’égard de leurs clients. À un extrême, nous retrouvons des leaders tels les Brasseurs du Nord et la brasserie McAuslan qui garantissent des produits d’une grande fraîcheur. À l’autre extrême, nous retrouvons des investisseurs tels Sleeman qui nous proposent leurs produits dans des bouteilles transparentes qui favorisent la dégradation de la bière. Entre les deux, nous avons des gestionnaires perspicaces qui s’accommodent bien du flou. Unibroue, par exemple, n’indique aucune date sur ses bouteilles. En n’indiquant pas la date de fabrication sur ses bouteilles, il nous est impossible à quelle étape de son évolution la bière se trouve. J’aime beaucoup la Blanche de Chambly fraîchement sortie de la brasserie. Elle a une somptueuse saveur de blé délicieusement relevée par l’intervention heureuse des agrumes sur mes papilles. Malheureusement, la dernière Blanche «fraîche » que j’ai bue remonte à il y deux ans! Depuis, je ne tombe que sur des bouteilles défraîchies offrant des saveurs fades ou madérisées.


En résumé, lorsque je constate l’état des choses au Québec, 10 ans après le début de cette révolution des saveurs, je constate que nous en sommes toujours dans les premiers balbutiements. Plusieurs obstacles n’ont pas encore été franchis. Il reste beaucoup de chemin à parcourir.