Mario D'Eercommuniquez avec moi

Enseignant, auteur, biérologue

Déesses, femmes et spiritualité



Les déesses ont fait le don de vie et d'abondance aux humains, il y a 20 000 ans. Leur amour maternel a donné le talent de brasseur aux femmes. Il existe une époque où la bière était exclusivement brassée par des femmes et servie par des prêtresses dans des temples. Une fresque trouvée sur des tablettes d'argile de l'époque pré-dynastique de Sumer, le «monument bleu» décrit l'offrande d'une bière à la déesse Nin-Harra. Les tablettes de l'époque sumérienne mentionnent également les maisons de la bière tenues par des femmes. Le code civil du Roi Hammourabi (1728-1686 avant J.-C.) traite de la bière de façon précise. Il réglemente sévèrement la fabrication, condamnant à la mort toute prêtresse qui ouvre un débit de bière sans autorisation formelle.

Crachant dans la marmite, elles répètent le plus ancien rituel de brassage connu sur terre. On croit que la meilleure bière est issue de la salive des jeunes femmes vierges.

On retrouve à Sumer 16 bières différentes; huit faite d'épeautre, un ancien blé, nommées kurunnu, cinq avec de l'orge, la sikaru et trois autres que l'on obtient en mélangeant les deux premiers types. On demande une bière ordinaire en disant bi-du et une bière adoucie au sucre de dattes par niud. Le salaire de base des ouvriers était calculé sur une quantité de bi-du; trois litres par jour!


L'ancienne Égypte produit beaucoup de documents relatifs à la bière: fresques murales, papyrus, offrandes dans les tombeaux. Les Égyptiens désignent ce produit du nom de zythum ou sikaru.Le Sikaru est placé sous la protection de la déesse Nin-bi. Le brasseur de l'époque, la Pa-E-Bi jouit d'importants privilèges. La Femme, celle qui brasse officiellement la boisson céleste, porte attention à l'effet de différents trempages sur les saveurs et initie une longue tradition d'études empiriques sur le brassage. Elle se sert de ses talents de brasseur pour maintenir un pouvoir et un statut particulier dans une société de plus en plus dominée par les hommes.


La Femme découvre que la bière fermente plus vite et plus facilement si elle mastique les grains avant de les utiliser dans le brassin. L'enzyme pytalin que l'on retrouve dans la salive transforme effectivement l'amidon en sucres fermentescibles. Les femmes brasseurs et les tavernières, les Sabtiem, sont les seuls commerçants possédant leurs propres divinités qui les guident dans la fabrication de plusieurs bières. Ce savoir particulier se transmet de mère en fille. Du côté occidental de l'Atlantique, Nunui, la mère terre des Jivaros de l'Équateur, transmets aux femmes le savoir du Nihamanchi, la bière. Leur rituel est toujours pratiqué au moment où vous lisez ces lignes: les femmes s'assoient en cercle et mâchent des graines de céréales. Leurs salives transforment l'amidon des grains en sucres fermentescibles. Crachant dans la marmite, elles répètent le plus ancien rituel de brassage connu sur terre. On croit que la meilleure bière est issue de la salive des jeunes femmes vierges. Plus au nord, dans les hautes terres, les Astèques brassent quant à eux une bière à base de maïs appelée Tesguino.


La puissance mystique de la salive se retrouve dans celle d'Odin alors qu'il la prête à Geihildr l'une des femmes du roi Alrekr afin qu'elle triomphe d'une rivale. Le cracha d'une jeune vierge est naturellement beaucoup plus alléchant que celui des récits mythologiques celtiques. Pensons à l'histoire du fils de Berwyn, Ceraint l'Ivrogne, qui brasse la première bière avec la bave du sanglier. Ou encore celle du fils de Kalervo qui décocte la première öl en utilisant la bave bouillonnante de deux cochons.



Les anciens Égyptiens passent la majorité de leur vie à planifier leur prochaine existence. La bière et l'immortalité sont étroitement unies. Obsédés, ils en oignent les nouveaux-nés et ils en apportent dans leur dernier sommeil. Les plus riches font construire dans leurs tombes des brasseries miniatures. Soulignons d'ailleurs ce lien céleste dans l'utilisation des aromates, non seulement dans l'art brassicole mais dans celui de l'embaumement. Être soûl pour eux signifie être en état de grande spiritualité. Le palais des pharaons offre à la famille royale des bières régales. Ils reçoivent sous forme de taxes et de royautés en provenance des villes, territoires et provinces, de milliers de vases de bière à chaque année. Le salaire minimum de l'époque est liquide: deux jarres de bières par jour soit l'équivalent que ce que reçoit un collaborateur de Zone pour un article de 600 mots...

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Chronique rédigée en 1995